la revolution rose
La révolution rose
Être « gai » en Chine commence à perdre son aspect négatif, mais on n’en est encore qu’au début du chemin.
Liu Yunyun
Il y a à peine quatre ans, l’homosexualité était encore vue en Chine comme un désordre mental.
Le 16 décembre, les gais et lesbiennes célébraient leur premier festival national. C’est un « grand bond en avant » pour un pays longtemps fermé aux styles de vie alternatifs.
Conan Zeng, comme plusieurs autres gais des grandes villes, ne cache pas son orientation sexuelle. Photo fournie par Conan Zeng
Malgré la disgrâce et les admonestations publiques, la communauté homosexuelle de Chine fait sa première tentative de sortie du placard où elle a été jusqu’à très récemment enfermée.
En 1997, le terme de « voyou » a été retiré du Code criminel à l’égard des gais arrêtés pour sollicitation dans des endroits publics. De facto, c’était la décriminalisation des actes homosexuels, suivie en avril 2001 de la suppression de l’homosexualité de la Liste des désordres mentaux de Chine.
Maintenant, la journée d’éveil au phénomène de l’homosexualité, le 12 juin, marquée par l’envol de cerfs-volants à Beijing, Shenyang et Fuzhou, et le premier festival gai national à grande participation, le 16 décembre, à Beijing, organisé par Cui Zi’en, un professeur associé à l’Académie du cinéma de Beijing et homosexuel, illustre le changement d’attitude face à la révolution rose.
Le mot tongzhi, qui signifie littéralement « camarade » (personne qui partage le même idéal), est aujourd’hui largement utilisé par les gais et lesbiennes à travers le pays pour se désigner eux-mêmes. Chercher « tongzhi » dans le Google chinois mène à des résultats étonnants. De nombreuses activités ont lieu partout en Chine ; bars, spas, bains publics et sites web desservent la communauté gai de même que des lieux de rencontres ouverts ont remplacé les toilettes et les parcs secrets d’il n’y a pas si longtemps.
L’appel du sociologue et romancier gai Tong Ge à « faire fondre la glace du sol à la chaleur de notre corps » a électrisé les professionnels chinois, les incitant à faire pression sur le gouvernement pour qu’il approuve le mariage entre deux personnes du même sexe, quels que soient les obstacles sur la route.
Zhang Beichuan, un spécialiste de l’homosexualité et récipiendaire du Prix Barry & Martin 2000 attribué aux personnes qui ont apporté une contribution remarquable à la campagne de sensibilisation au sida, estime que la partie continentale de la Chine compte environ 40 millions d' homosexuels, soit beaucoup plus que les 5 à 10 millions avancés par le ministère de la Santé en décembre 2004. Ce nombre important, égal à la population de l’Espagne, ne peut plus être ignoré de la société.
« Je m’aime comme je suis »
Conan Zeng, âgé de 24 ans, conseiller en impôt d’une des quatre plus grandes firmes du genre, a dit à Beijing Information qu’il n’avait jamais tenté de dissimuler son orientation sexuelle après avoir découvert qu’il était gai. Contrairement à la génération précédente, les congénères de Conan parlent plus facilement de leur vie et de leur expérience amoureuse. Vêtu à la mode et charmant, il est fier de lui-même. « Mes amis disent habituellement que j’ai besoin d’être protégé », dit-il avec un sourire, ajoutant qu’il a souvent des problèmes au travail ou dans sa vie personnelle.
Zhang Beichuan, spécialiste de l'homosexualité en Chine. Photo fournie par Zhang Beichuan
« La plupart des gens autour de moi m’acceptent en tant qu’homosexuel. » Quant à ceux qui n’aiment pas les hommes aux manières féminines, Conan est intraitable : « Je m’aime comme je suis et je me tiens loin de ceux qui ne m’aiment pas. Peu importe ! »
En dépit de son attitude détachée, Conan avoue ne pas avoir pu avouer son orientation sexuelle à ses parents. Cette situation est fréquente dans la communauté gai chinoise.
Au cours des entrevues effectuées, Beijing Information a compris que les membres de la famille étaient toujours les derniers informés et les plus difficiles à informer. La pensée confucéenne explique peut-être ce phénomène : « Manquer de loyauté filiale, c’est désobéir à ses parents, ne pas assister ses parents dans le besoin, et - le plus important - ne pas poursuivre la lignée familiale. »
Hao Ting, étudiant de 17 ans à l’Université de Beijing, dit que la plupart de ses amis savent qu’il est gai, mais pas ses parents.
Comme l’indique Zhang Beichuan, les homosexuels chinois se sentent coupables envers leur famille. L’homosexualité peut se tolérer tant qu’on poursuit la lignée, dit Zhang, mais « il est trop pénible d’épouser une personne qu’on n’aime pas vraiment. »
Lieux de divertissement
An Yi, propriétaire du 10BAR de Beijing, parle du premier bar pour lesbiennes en 1998 tenu par un de ses amis et qui perdait de l’argent faute d’une bonne gestion et d’un local approprié. An lui suggéra de redéfinir son bar « pour lesbiennes seulement ». « À ce moment-là, on n’osait pas annoncer publiquement. Seul le bouche-à-oreille fonctionnait. »
En deux mois seulement, le premier bar pour lesbiennes de la ville était devenu un endroit populaire fréquenté le week-end. Toutefois, il a dû fermer à cause de la clientèle réduite et qui dépensait peu.
Un sondage mené par des psychologues de Nanjing (Jiangsu) montre que les homosexuels sont plus nombreux dans les villes côtières qu’à l’intérieur, chez les hommes plus que les femmes. Leur quotient intellectuel est au-dessus de la moyenne, et 93 % des répondants ont un niveau d’études minimal d’école secondaire deuxième cycle. Vu leur instruction diversifiée, dit Zhang, les homosexuels des deux sexes sont plus conscients de leurs besoins physiques et émotifs.
Les gais de Chine sont surtout des jeunes qui ont un haut niveau d’instruction et un milieu de travail et de vie relativement libre. Ils vivent sans problèmes (sauf se cacher de leurs parents) dans les grandes villes.
« Si vous m’aviez demandé une entrevue il y a deux ou trois ans, je vous aurais opposé un non catégorique. La société était moins tolérante alors », dit An, qui prévoit que le gouvernement légalisera le mariage entre personnes du même sexe dans un futur rapproché.
Il croit aussi que la Chine n’a jamais banni l’ homosexualité. « Plusieurs de mes invités et clients sont des fonctionnaires de haut rang et des dirigeants de grosses entreprises », explique An. Pensez-vous que ces gens vont laisser passer une loi qui les punirait eux-mêmes ? » Décoré de lanternes chinoises classiques, de rochers et de bambous artificiels, le 10BAR a maintenant un revenu de 80 000 yuans par semaine, dix fois plus qu’il y a un an.
Il existe actuellement une bonne dizaine de bars pour gais et lesbiennes à Beijing, selon An, en plus de centaines de sites internet, comme dans toutes les villes.
« Les gens sont occupés à gagner de l’argent, dit Toni Li, propriétaire du bar Vogue de Shanghai. Ils n’ont pas le temps d’ennuyer les autres, et ils reçoivent de plus en plus d’information de l’étranger, alors leur degré de tolérance augmente envers les gais. »
La prestigieuse université Fudan de Shanghai a commencé cette année à offrir un cours sur les aspects sociaux de l’homosexualité. « Le cours précédent mettait l’accent sur la prévention du sida chez les homosexuels », dit Gao Yanning, qui donne ce cours. « Nous donnerons aux étudiants une information juste qui aidera à éliminer leurs préjugés sur les homosexuels. »
Mariage homosexuel
Pendant l’enquête, Beijing Information a noté un problème déconcertant. Les tongzhi chinois présument que la société ne les acceptera pas comme des gens normaux et ne les tolérera pas ; donc, ils ne communiquent pas leurs émotions et expériences homosexuelles. C’est tout à fait le contraire. Plus on communique, plus on est compris par les amis et la société.
Ma Lu, qui a abandonné ses études à l’université des Sciences et Technologies de Chine, n’aurait jamais cru que ses camarades d’études et de dortoir comprendraient son orientation sexuelle avant qu’il admette qu’il était gai. D’abord, ses camarades ont été choqués et ont même essayé de lui présenter des filles, mais en vain. Ensuite, ils ont commencé à l’accepter, ce qui lui a donné le courage de parler ouvertement. « Je suis fier d’être gai », dit Ma.
Plusieurs de ceux qui osent s’affirmer sont des enfants uniques, dit le Pr. Gao Yanning de Fudan, ajoutant que les parents préfèrent tolérer l’orientation sexuelle de leur enfant plutôt que de le perdre.
Les homosexuels attendent beaucoup de la légalisation du mariage entre homosexuels. Ils ont besoin d’un certificat qui prouve aux autres qu’ils sont prêts à prendre la responsabilité d’une famille.
« Ni la société ni la loi ne nous accorde ce droit », se plaint Li Yan, d’abord mariée à un homme, que Beijing Information a rencontrée au bar Rainbow pour lesbiennes à Beijing.
« Personne ne sait combien je veux être responsable de ma ‘femme’, a dit une autre cliente. Je veux rester avec elle, mais à cause de la pression sociale, nous ne pouvons nous marier. »
Zhang Beichuan dit que selon ses recherches, les relations homosexuelles durent environ 30 mois, tandis que la moyenne des relations hétérosexuelles est de 36 mois, après quoi elles se brisent ou l’on se marie. Mais s’il n’existe pas de mariage pour appuyer les relations amoureuses des homosexuels, que feront-ils ? » Zhang estime que 75 % des homosexuels espèrent trouver un ou une partenaire pour la vie, mais que seulement 5 % le font.
« Nous, gais ou lesbiennes, n’aurons pas d’enfants. Je pense que c’est une bonne nouvelle pour une société déjà surpeuplée », blague Ma Lu.
Li Yinhe, sexologue de l’Académie des sciences sociales de Chine, pense dans le même sens. Elle a déjà soumis une proposition de légalisation du mariage homosexuel deux fois à la législature chinoise, en 2000 et en 2004. Après des études comparatives, elle dit que les pays à forte population et croissance rapide sont relativement plus tolérants face à l’ homosexualité.
« Les statistiques montrent que 3 à 4 % de la population sont homosexuels. En Chine, leur nombre est entre 39 et 52 millions. Si la loi ne leur permet pas le mariage, ils formeront finalement un couple hétérosexuel et auront des enfants. S’ils peuvent se marier entre eux, ils aideront à ne pas augmenter la population de notre pays », dit Li, qui propose de changer les termes « mari » et « femme » de la loi actuelle en « conjoints ». Bien que sa proposition n’ait pas connu de succès, elle demeure optimiste face à l’avenir.
La communauté gai a aussi besoin d’une plus large couverture médiatique.
Actuellement, seulement les Pays-Bas, la Belgique, l’Espagne et le Canada ont légalisé le mariage homosexuel. En Afrique du Sud, la plus haute cour a reconnu un mariage de lesbiennes le 1er décembre, et a donné au parlement un an pour étendre les droits matrimoniaux aux couples du même sexe. D’autres pays offrent une forme de partenariat avec une certaine restriction de droits. En 1999, la France a introduit un contrat civil de cohabitation sans égard au sexe, et l’Allemagne a mis en vigueur le « partenariat de vie » pour les gais. « C’est une tendance législative mondiale, dit Li Yinhe, et la Chine va sûrement la suivre malgré les obstacles actuels. »
« Finalement, les gens accepteront l’idée que chacun a le droit et la liberté d’amour et de mariage, conclut Zhang Beichuan. L’amour est, après tout, la plus belle chose du monde. »
La culture gai en Chine
Les médias étrangers ont déjà dit que la Chine est le paradis des gais. « C’est vrai d’une certaine façon, réplique la sexologue Li Yinhe. Sous certains aspects, on peut comparer la Chine à la Grèce antique, où l’on croyait que le sexe est le sexe, et peu importe que le partenaire soit homme ou femme. » Toutefois, signale Li, le véritable paradis des gais est dans les pays d’Europe du Nord où leurs droits sont protégés par la loi.
En Chine, les tongzhi n’ont jamais été réprimés ni persécutés comme ce fut le cas dans des pays développés où la mentalité sociale est habituellement guidée par la croyance religieuse. Le christianisme croit que l’homme et la femme font le mariage et la famille, et que tout ce qui va à l’encontre doit être châtié. En Europe au Moyen-âge, l’homosexualité était considérée comme un crime punissable par la pendaison ou par le feu.
Toutefois, dans l’ancienne Chine, une attitude calme et indifférente envers le phénomène a toujours prévalu. Ni critique ni approbation. La littérature chinoise est parsemée de merveilleuses histoires ou de beaux poèmes d’amour entre homosexuels, qui auraient horrifié les missionnaires jésuites de l’époque.
Selon Li Yinhe dans son ouvrage Histoire de l’homosexualité en Chine, les données historiques fournies sur l’homosexualité masculine remontent à la dynastie des Shang (XVIe - XIe s. av. notre ère). Elle y cite des documents de la dynastie des Han qui disent que presque tous les empereurs des Han de l’Ouest (202 av. notre ère - 24 de notre ère) avaient des amants du même sexe. Un euphémisme pour désigner l’amour avec le même sexe encore utilisé aujourd’hui est « couper les manches ». L’expression vient d’un empereur des Han qui trouva son amant endormi sur sa manche, et plutôt que de le réveiller, il la coupa pour pouvoir se lever.
Pendant la destructive Révolution culturelle (1966-76), les homosexuels connurent leur pire période de persécution de l’histoire chinoise. Le gouvernement voyait dans l’homosexualité une sorte de maladie mentale qui entraînait la disgrâce sociale. Les gais étaient accusés de « vandalisme » de l’ordre social et sont restés étroitement à l’écart depuis lors.
La répression officielle a cessé en 1991, et des endroits de divertissement pour les gais et les lesbiennes ont commencé à apparaître à travers le pays.
0 Comments:
Post a Comment
<< Home