hervé guibert
Zappette : Les beaux fantômes
A un moment de nos vies, ils étaient là, si présents, si proches. Et puis ils n’y sont plus. Ils disparaissent, ils s’effacent, et d’autres les remplacent. D’autres amours, d’autres amis, d’autres émois. Nos fantômes nous nourrissent, nous accompagnent, nous parlent parfois. On entend un rire, on croise un regard, on traverse une rue, on lit une phrase, et ils sont là à nouveau. On peut croire les avoir oubliés, ils ne sont jamais loin, ils rôdent, et ils surgissent à l’improviste. Nos beaux fantômes. Ceux que l’on a bien connus, ceux que l’on a effleurés, ceux qui nous ont fait grandir sans même qu’on les aie rencontrés. A chacun les siens bien sûr, les ombres intimes, les souvenirs anonymes. Mais les fantômes ne sont pas égoïstes, ils ne hantent pas que nous. Certains s’offrent en partage comme ils l’ont toujours faits. Car certains fantômes sont plus vivants que d’autres et ce qu’ils ont à nous dire trouve encore et toujours un étrange écho. En écrivant cela, on pense à Hervé Guibert, dont Pink TV (1), un soir gris de décembre, a fait revenir le fantôme émacié et incandescent, ce fantôme évanoui d’un écrivain tant aimé quand on avait vingt ans et si peu relu, ce fantôme au chapeau rouge échappé d’un temps où le sida n’était pas une menace fantôme mais un spectre omniprésent, ce fantôme à la beauté angélique déjà marquée par la mort toute proche. Et le fantôme s’anime. Et le fantôme renaît. Et le fantôme, avec ce courage, cette grâce, cette force incroyable, cette lucidité terrible, cette impitoyable précision dont on avait perdu la mémoire et qui pourtant étaient tout ce qui nous bouleversait alors chez lui, oui, le fantôme nous crucifie à nouveau. Sous le feu de son regard bleu, sous la douceur apparente de ses mots sussurés, sous la fragile silhouette de son corps rongé par une maladie telle qu’elle ne se montre plus désormais, on reconnaît aussi le fantôme de ce qu’on était alors, de ce qu’on ressentait, de ce qu’on imaginait. On se dit qu’on a essayé d’y être fidèle. Et pour le vérifier — parce que les fantômes essentiels ne servent qu’à cela, à nous aider à vivre sans renier le passé — on décide de relire l’œuvre cruelle, impatiente, déchirante, lumineuse et désespérément actuelle d’Hervé Guibert. Didier Roth-Bettoni
0 Comments:
Post a Comment
<< Home